Il appelle ça une « prise de risque réfléchie ». C’est un euphémisme. Lors de sa conférence de presse consacrée au budget 2026, et alors que la rentrée sociale s’annonce particulièrement périlleuse pour l’exécutif, François Bayrou a sorti de son chapeau une annonce davantage politique que budgétaire.
Se sachant menacé par une motion de censure à l’automne, dans un contexte où les mesures phares de son budget sont massivement rejetées par l’opinion, le Premier ministre a dégainé un outil surprise : la convocation d’une session extraordinaire à l’Assemblée nationale, afin de solliciter un vote de confiance auprès des députés. En cas de défaite sur ce vote, il quittera Matignon et son gouvernement tombera.
François Bayrou demande un vote de confiance, ces partis annoncent déjà la couleur
L’idée derrière cette opération aventureuse ? Mettre les oppositions au pied du mur, en insistant sur la dangerosité du moment tout en prenant les Français à témoin. « La première étape pour clarifier les choses, c’est qu’on se mette d’accord sur la gravité de la situation et sur l’urgence », a justifié le Premier ministre, qui décrit cette initiative – qui a de très fortes chances de déboucher sur la fin de l’ère Bayrou – comme la seule et unique façon de faire comprendre aux citoyens l’ampleur du défi budgétaire que le pays doit surmonter.
Après tout, si le chef du gouvernement met son poste en jeu, c’est bien que la situation est périlleuse et que des efforts conséquents s’imposent… Du moins, c’est ainsi que le maire de Pau voudrait que l’opinion comprenne son coup stratégique. Car c’est bien sur le registre de la « responsabilité » que François Bayrou et les siens feront campagne dans les médias. Avec deux cibles perçues comme sensibles à ce discours. La première, prioritaire, est le Parti socialiste.
« Le sens des responsabilités »
Avec un narratif tout trouvé. Comment une formation, qui se perçoit comme « parti de gouvernement » et qui a donné deux présidents à la Ve République pourrait-elle faire tomber l’exécutif dans un contexte aussi grave ? Qui plus est en rejoignant la position de La France insoumise, cette formation composée de « spécialistes dans l’organisation du bordel », selon les termes de Jean-Luc Mélenchon cités par François Bayrou ce lundi, et qui passe son temps à taper sur le PS ? « Les Français découvriront quels députés ont le sens des responsabilités et mesurent la gravité de la situation », prophétise par exemple le député MoDem Laurent Croizier.
L’autre cible de ce discours consécutif à cette manœuvre hasardeuse est le Rassemblement national. En quête de respectabilité dans les milieux économiques, le RN pourrait théoriquement être tenté de s’abstenir. Ce qui, numériquement, pourrait sauver la tête du Premier ministre dans cette assemblée fragmentée en trois blocs. Sauf que, manifestement, ce n’est pas du tout de cette façon que le parti lepéniste voit les choses, préférant jouer le coup d’après. « Nous voterons évidemment contre la confiance au gouvernement de François Bayrou. Seule la dissolution permettra désormais aux Français de choisir leur destin », a rapidement réagi Marine Le Pen.
Cassandre
Ce qui, fatalement, semble sceller le sort du Premier ministre, puisqu’une abstention du Parti socialiste, dans un contexte où le bloc d’extrême droite et les forces du NFP (hors-PS) votent contre la confiance, ne suffirait pas à sauver le gouvernement. Pour couper court à tout espoir chez les soutiens du Premier ministre, le patron du PS a fait part de sa réponse à François Bayrou dans les colonnes du Monde. « Il est inimaginable que les socialistes votent la confiance à François Bayrou », évacue Olivier Faure.
À moins que l’objectif soit d’une autre nature pour le maire de Pau. Conscient du caractère inéluctable d’une censure et de l’imprévisibilité des années politiques à venir, François Bayrou pourrait souhaiter lui-même partir sur ce geste, afin de laisser le souvenir d’un responsable courageux, prédisant l’apocalypse budgétaire avant qu’elle ne se produise, à l’image de Cassandre prévenant (sans succès) les Troyens que le cheval offert par les Grecs n’était qu’un subterfuge pour frapper la cité.
Une référence que ce professeur agrégé de lettres classiques a probablement à l’esprit au moment de fixer une date de péremption à son propre gouvernement. « En choisissant de poser la question de la confiance, François Bayrou programme la date de son départ. Il est donc possible qu’il s’agisse [lors de sa conférence de presse] d’un discours pour la postérité, d’où son caractère très général et non informatif », souligne sur le réseau social X Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste en communication politique.
Paradoxalement, le président du MoDem pourrait donc tirer profit de cette séquence, en espérant capitaliser sur l’image d’un père la rigueur, bien démuni face à une coalition perçue comme irresponsable, voire inconsciente au regard des risques que fait peser la dette sur la souveraineté du pays. Et ce, sans se salir les mains avec des mesures invendables, puisque ce départ précipité consisterait en réalité à refiler la patate chaude à Emmanuel Macron, responsable depuis la dissolution de cette impasse politique.
Avec, en prime, le spectre de l’instabilité que cherchait à tout prix à éviter le chef de l’État. Après l’intervention de François Bayrou, la Bourse de Paris a déjà reculé de 1,5 %. Un formidable aveu d’impuissance en guise de cadeau d’adieu. Neuf ans après l’avoir porté au pouvoir.
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