Le Concorde n'était pas seulement un exploit technologique, c'était aussi le symbole du luxe et du prestige à la française. Pierre Grange, qui a piloté le supersonique pendant près de vingt ans, garde des souvenirs précis des personnalités qu'il a eu l'honneur de transporter. Parmi elles, François Mitterrand occupe une place particulière dans la mémoire de l'ancien pilote d'Air France. "J'ai fait beaucoup de vols spéciaux avec François Mitterrand qui considérait que Concorde était le char de l'État", confie-t-il à Yahoo avec le recul des années.
Cette vision présidentielle du Concorde comme symbole de la grandeur française transparaissait dans l'attitude même du chef de l'État à bord. Contrairement à d'autres personnalités politiques, François Mitterrand maintenait une certaine distance protocolaire avec l'équipage. Une attitude qui reflétait sa conception particulière de la fonction présidentielle et son rapport aux institutions républicaines.
Au-delà des présidents de la République, le Concorde a transporté pendant ses 27 années de service commercial une galaxie de célébrités venues du monde entier : Paul McCartney, John Lennon, Phil Collins, Sir Elton John, Michael Jackson, Elizabeth Taylor ou encore la Reine Elizabeth II et la famille royale britannique.
Des personnalités aux caractères contrastés
Pierre Grange se souvient particulièrement des différences de comportement entre les hommes politiques français qu'il a transportés. "Nous avons eu Jacques Chirac à bord une fois, lorsqu'il y a eu un référendum en Nouvelle-Calédonie. Jacques Chirac, qui était Premier ministre à cette époque-là, a voulu aller à Nouméa en Concorde. Aller-retour en trois jours", raconte l'ancien pilote.
L'attitude de Jacques Chirac contrastait totalement avec celle de François Mitterrand. "François Mitterrand ne venait jamais au cockpit. Jacques Chirac, quand il rentre dans un avion, il tourne à gauche tout de suite, il va dire bonjour au cockpit", observe Pierre Grange avec amusement. Une différence de tempérament qui illustrait parfaitement les personnalités opposées des deux hommes politiques.
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"C'est des personnalités totalement différentes. Je pense que François Mitterrand, ce n'était pas par mépris, c'est par sa conception césarienne, on va dire, de la présidence", analyse l'ancien pilote avec finesse. Cette "conception césarienne" expliquait la distance maintenue par le président socialiste avec l'équipage, contrairement à la proximité naturelle affichée par son successeur gaulliste.
La porte du cockpit toujours ouverte
L'une des particularités du Concorde résidait dans l'accessibilité de son cockpit pendant le vol. "Sur Concorde, la porte du cockpit était toujours ouverte. Il y avait des visites de poste mais pas très souvent parce que la cabine est étroite. Donc les passagers ont très peu de temps pour se lever et se promener", explique Pierre Grange. Cette configuration, impensable aujourd'hui pour des raisons de sécurité, permettait des interactions privilégiées entre équipage et passagers.
Cette proximité a permis à l'ancien pilote de côtoyer des personnalités venues d'horizons très différents. Parmi elles, Jacques-Yves Cousteau l'a particulièrement marqué : "Je me souviens de Cousteau, très, très étonnant d'ailleurs. Un monsieur qui était quand même pour la nature, écologiste, il était très, très souvent sur le Concorde d'Air France."
Cette présence récurrente du célèbre océanographe à bord du supersonique peut surprendre aujourd'hui, à l'heure où l'empreinte carbone du transport aérien fait débat. Mais dans les années 80 et 90, le Concorde incarnait avant tout le prestige et l'efficacité, permettant aux personnalités influentes de traverser l'Atlantique en à peine 3h30.
Un symbole de réussite internationale
Du côté britannique, British Airways cultivait également sa clientèle de prestige. "Je crois que British Airways a une collection de rockstars à bord de son avion. On m'a parlé de Michael Jackson", évoque Pierre Grange.
Le supersonique est ainsi devenu le moyen de transport privilégié des élites mondiales, qu'il s'agisse d'hommes d'affaires, d'artistes, de sportifs ou de membres de familles royales. Fred Finn, homme d'affaires britannique, détient d'ailleurs le record absolu avec 718 allers-retours effectués à bord du Concorde entre 1976 et 2003.
Cette clientèle d'exception contribuait largement à l'aura mythique du Concorde et transformait chaque vol en événement mondain. Les compagnies Air France et British Airways l'avaient bien compris, soignant particulièrement le service à bord.
L'héritage d'une époque révolue
Aujourd'hui, 25 ans après le crash du 25 juillet 2000 et 21 ans après le dernier vol commercial, ces anecdotes résonnent comme les témoins d'une époque révolue. L'ère du transport supersonique civil s'est refermée avec le Concorde, emportant avec elle ces moments privilégiés où célébrités et personnalités politiques partageaient l'expérience unique du vol à Mach 2.
Les projets actuels de nouveaux supersoniques civils, portés notamment par des entreprises américaines comme Boom Supersonic, ambitionnent de faire renaître cette époque. Mais ils devront composer avec des contraintes environnementales et économiques bien différentes de celles des années Concorde.
Pour Pierre Grange et ses anciens collègues, ces souvenirs de vols présidentiels et de rencontres avec des légendes du show-business restent l'un des privilèges de leur carrière exceptionnelle. Des moments uniques qui témoignent de l'âge d'or du transport aérien de prestige, quand voyager en Concorde constituait le summum de l'élégance et de la modernité.
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