
POLITIQUE - Dix mesures et presque autant de critiques. Le projet de réforme pénale porté par le Garde des Sceaux Gérald Darmanin est très loin de convaincre la profession. Laquelle réclame, par la voix des syndicats, davantage de « moyens » plutôt que des mesures à l’efficacité questionnée.
« Il n’y a jamais eu autant de peines de prison » et pourtant « une peine sur deux n’est jamais effectuée parce qu’elle est aménagée directement après le prononcé du tribunal », a déclaré le ministre de la justice en présentant son projet de loi à la presse le 28 juillet. « Les juges ne sont pas laxistes, mais le système l’est devenu », a-t-il affirmé.
Un député LFI a-t-il été entravé en voulant visiter la prison haute sécurité de Gérald Darmanin ?
Pour y remédier, Gérald Darmanin a présenté un paquet de dix mesures parmi lesquelles le rétablissement des peines de moins d’un mois d’emprisonnement ferme, le sursis réservé uniquement aux personnes sans casier judiciaire, l’extension de la procédure de plaider-coupable ou encore la multiplication et l’extension des compétences des cours criminelles départementales (les CDC) afin qu’elles puissent aussi juger en appel et en cas de récidive.
« Cette justice-là, on n’en parle jamais »
Retour de flammes dès le lendemain. En marge d’un déplacement au tribunal de Nanterre, une avocate du barreau des Hauts-de-Seine a laissé éclater sa colère devant la presse, dénonçant le manque de moyens pour répondre aux vrais problèmes de la justice. « On est tous au bout du rouleau, qu’il s’agisse des greffiers, des magistrats… Quand des gens viennent nous faire des sujets de niche sur le narcotrafic… La réalité de la justice, ce n’est pas celle-ci. C’est nous, à la commission d’office, avec des personnes qui ne sont pas des narcotrafiquants ni des mafieux. Cette justice-là, on n’en parle jamais », a-t-elle tonné devant les caméras.
L’accueil est tout aussi froid du côté des syndicats de magistrats. « La philosophie de cette réforme est d’aller plus loin dans le tout carcéral », a commenté auprès de l’AFP Justine Probst, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), sceptique sur la capacité de cette réforme à enrayer la surpopulation carcérale. Même son de cloche chez l’Union syndicale des magistrats (USM). « Est-ce qu’il y a un intérêt aujourd’hui à refaire une énième réforme sur une matière complexe qui n’arrête de changer ? Nous n’en sommes pas certains », cingle au micro de RTL Alexandra Vaillant, la secrétaire générale qui déplore que le projet de loi « parte sous l’angle (d’une) justice trop laxiste. »
« Ligne rouge » sur le plaider-coupable
Si elle partage le constat du Garde des Sceaux sur les délais de traitement judiciaire trop long, la représentante syndicale estime que le manque d’effectifs en est la véritable cause. « C’est la conséquence de 30 ans d’abandon de la justice par les pouvoirs publics, ni plus ni moins », a-t-elle insisté, avant balayer la majorité des mesures souhaitées par Gérald Darmanin.
Le retour des peines de moins d’un mois ? « Un choix politique » sur lequel « il n’existe pas aujourd’hui de consensus scientifique et sociologique sur l’efficacité des courtes peines. » Le sursis limité aux primo-délinquants ? « Nous ne sommes pas persuadés que changer actuellement les règles du sursis simple contribue à améliorer la confiance des Français pour leur justice. »
Mais la « ligne rouge » du premier syndicat de la magistrature porte sur l’extension du principe de plaider-coupable. Aujourd’hui possible pour certains délits, le projet de loi propose de l’appliquer aussi aux crimes, à condition que la victime soit d’accord. Cette procédure permet d’éviter un procès mais elle se fait souvent au détriment de la victime dont « la place est extrêmement réduite » puisque les échanges ont lieu entre le parquet, le juge, la personne poursuivie et son avocat, souligne Alexandra Vaillant.
« Il y a quelques mois, le procureur général de la cour de cassation rappelait que nous allons dans le mur parce que les dernières réformes faites en matière criminelle l’ont été contre l’avis de tous les professionnels et à moyen constant. Aujourd’hui nous n’avons plus les moyens d’audiencer rapidement et c’est pour ça qu’on est au pied du mur. On se dit que peut-être on va devoir créer cette procédure, qui a priori n’est pas demandée par la majorité des professionnels du droit », conclut-elle.
Le projet de loi doit être présenté en Conseil des ministres d’ici cet automne, après avis du Conseil d’État. Face aux critiques, Gérald Darmanin a assuré se battre pour obtenir davantage » de moyens, à l’issue de sa visite à Nanterre. « Avec le ministère des Armées, nous sommes les deux seuls ministères à connaître non seulement nos lois de programmation à l’euro près », et pour le ministère de la Justice à avoir obtenu « 200 millions d’euros de plus, mais surtout 1 600 effectifs supplémentaires », a observé le ministre. Visiblement insuffisant pour les professionnels.
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