
POLITIQUE - Et por qué no ? En France, le charme ibérique fonctionne à plein régime. Rien à voir avec les images d’Épinal et autres clichés estivaux que charrie l’Espagne. Non, les élus hexagonaux s’ébaudissent de son « miracle » économique, et de son insolente croissance à près de 3 %.
Le scénario a d’autant plus tout de la jolie rom-com, qu’il y a 10 ans, personne ne misait sur nos voisins embourbés dans une crise économique aux horizons mornes et que la France, elle, se cherche désormais 40 milliards d’économies. Gage que la « fascination » tricolore est persistante, il suffit d’observer les « ah » et « oh », qu’a de nouveau suscité un article de BFMTV consacré à la « locomotive » espagnole dans une Europe, elle, bloquée sur la réserve d’essence.
Ces économies annoncées par François Bayrou et qui vous concernent
À gauche comme à droite tout le monde a de quoi piocher et s’invectiver sur des mesures symboliques. Et tant pis s’il s’agit finalement de comparer, mas o menos, des choux et des carottes, sans prendre en compte une multitude d’indicateurs et des trajectoires économiques différentes.
Quand la gauche rêve de relance sociale…
À gauche, comme le sénateur communiste Ian Brossat, on attribue cette réussite économique « au gouvernement de gauche », tout simplement. Les mesures sociales du Premier ministre ministres sont particulièrement sollicitées, à l’instar de l’allongement des congés parentaux et de l’embauche de milliers de fonctionnaires récemment annoncés par Pedro Sanchez.
Le député LFI Christophe Bex listait encore récemment sur X, une revalorisation du SMIC, un plafonnement des loyers, une indexation des retraites sur l’inflation. Oubliant peut-être un peu vite que pour ces deux derniers points, c’est aussi le cas en France, et qu’en matière de niveau de salaire l’Espagne reste en dessous.
Plutôt que du détail, les cénacles de gauche mettent aussi en avant la réussite d’une relance par la croissance, perçue en opposition à celle menée par l’exécutif macroniste depuis 2017. Et l’écologiste Karima Delli de cingler sur le réseau social X : « L’Espagne fait tout l’inverse de la France : hausse des salaires, services publics renforcés, politique sociale… Et ça cartonne. Comme quoi, l’austérité, c’est pas une fatalité — c’est juste un délire made in Bercy ».
Des considérations économiques auxquelles s’ajoute sans doute à gauche une certaine idéalisation politique : Pedro Sanchez arrive à se maintenir au pouvoir grâce à des alliances fragiles, dans un pays décentralisé, où il est par ailleurs cerné par des régions gouvernées à majorité par la droite.
... la droite demande le détail de l’addition
Ces injonctions à plus de social ont en tout état de cause le don d’irriter les centristes et la droite, qui louent de leur côté les efforts difficiles imposés en 2013, et qui permettraient aujourd’hui à l’Espagne d’afficher cette vitalité insolente. « On sait que l’Espagne a connu avant d’en arriver là une purge austéritaire comme jamais... à côté de laquelle le budget Bayrou n’est que de la tisane d’eau douce ! », réplique le conseiller municipal Renaissance, Loïc Chabrier, sur X.
L’ancien candidat MoDem aux municipales Michel Merrelle insiste lui aussi sur la dimension « libérale » des politiques menées par l’Espagne. Comme d’autres, dont l’ex-député macroniste Stéphane Vojetta, il agite un véritable épouvantail pour la gauche et les syndicats : la retraite à 67 ans qui sera en place en Espagne en 2027. Un chiffre mentionné par l’économiste Sylvain Catherine qui estime que pour s’aligner sur le modèle de l’Espagne, il faudrait également en France « doubler les aides aux entreprises, ou réduire d’autant leur fiscalité pour aligner les taux de prélèvements obligatoires nets ».
Si les plus irrités vont eux jusqu’à évoquer le contre modèle ultralibéral de Javier Milei en Argentine, le gâteau est visiblement si alléchant que même l’extrême droite est prête à en prendre une part. Les députés RN Frédéric Falcon et Guillaume Bigot ont eux aussi trouvé une mesure pour expliquer en partie la « croissance assurée » de la péninsule : la sortie du marché européen de l’énergie. Une mesure, au hasard, également défendue par les troupes lepénistes.
Ces autres indicateurs clefs
Si la classe politique rêve devant les 3 % de croissance, c’est aussi peut-être qu’ils s’apparentent plus aux moulins de Don Quichotte. Comme le détaillait le journaliste Romaric Godin dans Mediapart en février dernier, la dynamique du PIB par habitant n’est pas flamboyante, la productivité a peu de marge de progression, et le modèle espagnol reste fondé sur le tourisme de masse. Quant au budget, on ne saurait que trop rappeler qu’il n’a pas été voté depuis 2023, ce qui n’est pas sans poser quelques questions démocratiques.
La péninsule est aussi le deuxième plus gros bénéficiaire du plan de relance européen post-Covid. Des versements qui servent « de fait comme un budget de secours », et permettent de contourner le blocage politique, expliquait à nos confrères des Échos, Jorge Onrubia, professeur de finances publiques à Madrid. Un « mirage » plutôt qu’un « miracle » ?
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