DIPLOMATIE - À peine arrivé, déjà convoqué. L’ambassadeur américain en France, Charles Kushner, a réussi un petit exploit trois mois après sa nomination. Sa lettre adressée à Emmanuel Macron et qui fustige « l’absence d’action suffisante » du gouvernement face à « la flambée de l’antisémitisme en France » a suscité la colère du ministère des Affaires étrangères.
Résultat : l’Américain est convoqué ce lundi 25 août au Quai d’Orsay, « une mesure rarissime entre alliés » selon l’AFP. Paris a d’ores et déjà dénoncé l’analyse « erronée » et « abjecte » du représentant étasunien, précisant qu’elle « ne demeurera pas sans réponse ». Mais plus que cet incident diplomatique, c’est le profil de Charles Kushner qui interpelle.
L’ambassadeur américain en France s’en prend à son tour à Emmanuel Macron sur l’antisémitisme
« Je conseille de lire son CV. “Juicy” [croustillant, ndlr] comme diraient les Américains », s’était amusé sur X le diplomate Gérard Araud, lorsque son nom a été annoncé pour l’ambassade des États-Unis à Paris. Le HuffPost fait le point sur le parcours improbable de Charles Kushner, entre chantage à la sextape et proximité avec le clan Trump.
• Le beau-père de la fille Trump, proche de Netanyahu
Dans son message pour annoncer la nomination de Charles Kushner en décembre dernier, Donald Trump l’a présenté comme « un chef d’entreprise génial, un philanthrope et un négociateur hors pair ». De fait, l’Américain est un magnat de l’immobilier avec un empire familial dont la valeur atteint 7,1 milliards de dollars selon Forbes. Ce portrait élogieux par le locataire de la Maison Blanche vend du rêve, mais il cache aussi plusieurs éléments.
La nomination de Charles Kushner est aussi un beau renvoi d’ascenseur : l’homme d’affaires est un important donateur pour le mouvement MAGA (« Make America Great Again ») : il a investi pas moins d’un million de dollars en 2023 pour financer la campagne de Donald Trump pour revenir au pouvoir. Plus qu’un soutien financier, l’ambassadeur américain en France est carrément un membre à part entière du clan Trump. Son fils Jared Kushner s’est marié en 2009 avec Ivanka Trump, la fille du président.
Le couple, aujourd’hui en retrait de la vie publique, avait même joué un rôle important dans l’élection de Donald Trump en 2016 puis lors de son premier mandat. Jared Kushner avait aidé le républicain à percer sur les réseaux sociaux, rappelle Le Parisien. Il s’était ensuite imposé comme un proche conseiller du président.
Charles Kushner est aussi « un pilier de la communauté juive » dans son État du New Jersey, rappelle Le Monde selon qui il est investi dans la lutte contre l’antisémitisme et le soutien à Israël. Il est aussi un ami de Benjamin Netanyahu, qu’il a même hébergé lors d’une de ses visites aux États-Unis. Il n’est donc pas surprenant que l’ambassadeur reprenne le discours de « Bibi » sur l’inaction supposée de la France face à l’antisémitisme.
• Une affaire « répugnante » de chantage à la sextape
Dans son portrait dithyrambique de Charles Kushner, Donald Trump ne mentionne pas non plus son passage par la case prison. Comme l’a rappelé The Guardian, le magnat de l’immobilier a fait face à la justice américaine dans les années 2000, plaidant coupable pour une quinzaine de chefs d’accusation. Il a finalement été condamné à deux ans de prison en 2005 pour évasion fiscale, contributions illégales à des campagnes électorales et subornation de témoins.
Cette dernière condamnation a fait le plus bruit : pour le dissuader de témoigner contre lui, l’homme d’affaires n’a pas hésité à faire chanter son beau-frère. Celui-ci a été séduit par une prostituée payée pour filmer leurs ébats à son insu. Charles Kushner ne s’était pas privé d’envoyer la sextape compromettante à sa propre sœur, qui l’a reçue le jour des fiançailles de son fils. Ambiance…
Cette affaire est « l’un des crimes les plus répugnants et les plus dégoûtants que j’ai traités », avait affirmé Chris Christie, l’ex-gouverneur du New Jersey et procureur à l’origine des poursuites. Cela n’a pas dissuadé Donald Trump de gracier Charles Kushner en décembre 2020, nettoyant son casier judiciaire juste avant son départ de la Maison Blanche. Lors de son audition au Sénat en mai 2025 pour confirmer sa nomination comme ambassadeur, l’homme d’affaires a tout de même reconnu avoir commis une « très, très, très grave erreur ».
• « Charlie in Paris » parle aussi bien français qu’Emily
Si le CV de Charles Kushner est bien rempli, il ne comprend aucune expérience diplomatique. Ce défaut de taille a suscité le scepticisme des diplomates français selon le Financial Times, qui souligne cependant que les postes d’ambassadeurs « très convoités comme celui à Paris » reviennent « souvent » à des « donateurs » ou à des « alliés politiques des présidents américains ».
La nomination de Charles Kushner n’a en tout cas pas convaincu Gérard Araud, ex-ambassadeur de France à Washington, qui l’a décrite comme une « dinguerie » de Donald Trump témoignant de son « mépris le plus total pour le respect humain, les usages et la loi ». À un internaute qui lui demandait si Charles Kushner parle français, le diplomate avait répondu : « Évidemment pas. ». « Inutile de dire qu’il n’a pas la moindre connaissance de notre pays », déplorait-il dans un autre message.
Ironisant sur le cas de « Charlie in Paris », l’éditorialiste et activiste Benjamin Wittes, notoirement anti-Trump, avait assuré en mai sur son blog qu’il aurait refusé la venue de Charles Kushner à l’ambassade américaine s’il avait été à la place d’Emmanuel Macron. Une hypothèse sérieusement évoquée par François Heisbourg, conseiller sur l’Europe à l’Institut international des études stratégiques (IISS), qui rappelait en décembre que le refus d’« agrément » est « rare » mais reste une des « prérogatives diplomatiques des États souverains ». Reste à voir comment le Quai d’Orsay va gérer le cas de cet ambassadeur sulfureux, désormais bien installé à Paris.
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