CINÉMA - Certains, comme Hafsia Herzi ou Adèle Exarchopoulos, vantent son génie. D’autres le conspuent pour des pratiques de travail jugées peu morales. Neuf ans après la sortie de son dernier long-métrage au cinéma, Abdellatif Kechiche est de retour, ce samedi 9 août, avec la projection de Mektoub my Love : Canto Due au Festival de Locarno, en Suisse.
Le huitième film du réalisateur de La Graine et le Mulet, La Vie d’Adèle et L’Esquive concourt dans la catégorie internationale du festival, qui se tient jusqu’au 16 août. Une surprise pour beaucoup à l’annonce de sa sélection dans le courant du mois de juin, dont les organisateurs se réjouissent. Le cinéaste de 64 ans s’est fait, lui, plus discret.
Pas une réaction de sa part, ni même un mot sur l’intrigue. Le film a longtemps été décrit comme « la vraie suite de Mektoub my Love : Canto Uno ». Succès critique, mais moins populaire (un peu plus de 128 000 spectateurs en France), le film suivait l’histoire d’une bande de jeunes à Sète, entre jeux de l’amour, séduction et soirées d’ivresse dans la lumière d’un été pendant les années 1990.
Tourné il y a de ça sept ans, Canto Due, dont on ignore encore la date de sortie dans les salles, arrive dans un contexte particulier, celui du fiasco de son réalisateur au Festival de Cannes, en 2019. Cette année-là, il était venu présenter Mektoub, My Love : Intermezzo, sorte d’intermède de plus d’environ 3 h 30 entre les deux épisodes.
Intermezzo sème la controverse
Si nombre de festivaliers ont quitté la salle en raison des scènes de sexe crues et érotiques du film tourné dans une discothèque, celui-ci a fait couler beaucoup d’encre dans la presse à cette époque pour d’autres raisons. Son actrice principale Ophélie Bau s’est éclipsée après la montée des marches, et n’est pas apparue le lendemain en conférence de presse.
La raison de ce désistement ? Une scène de cunnilingus non simulé de plusieurs minutes, qu’elle pensait ne pas voir atterrir au montage final. À cela se sont ajoutées de nombreuses critiques de « male gaze » (une notion dénonçant les stéréotypes du regard masculin, NDLR) contre Abdellatif Kechiche, accusé de s’attarder longuement sur les fesses des danseuses accrochées à des barres de pole dance.
« La chose plus importante, pour moi, était de célébrer la vie, l’amour, le désir, le pain, la musique, le corps et de tenter une expérience cinématographique la plus libre possible », a-t-il pour sa part déclaré à la presse sur la Croisette. Avant de parler de « complot » dans un courrier public adressé contre la comédienne, qui n’a « à aucun moment, manifesté la moindre gêne ni quant à sa nudité, […] ni quant à la dimension érotique de certaines séquences », selon lui.
Finalement, Mektoub, My Love : Intermezzo n’est jamais sorti au cinéma. Certains assurent qu’il a été plombé par la controverse. D’autres, pour des raisons d’argent : les financeurs se sont trouvés dans l’impossibilité de s’acquitter des droits du remix techno de Voulez-vous ? d’Abba, en boucle dans le long-métrage. « Intermezzo tel que je l’avais conçu, j’ai préféré le mettre de côté », a expliqué à nos confrères de SoFilm le cinéaste, selon qui il s’agissait d’un « exercice libre ».
Abdellatif Kechiche y passe « tout son temps »
L’idée du diptyque, qu’il a imaginé en cours de route, ne l’a, elle, jamais quitté. En 2020, alors que sa société de production vient d’être liquidée, il décide de s’atteler au montage de ce nouveau film tourné en 2018. Le cinéaste dispose d’une quantité phénoménale de rushs : mille heures, un chiffre bien au-delà du record détenu par La Vie d’Adèle (750 heures), note Libération.
Pire, le quotidien raconte qu’il s’est fait lâcher par ses partenaires. Son distributeur Pathé et son vendeur à l’international (la société Wild Bunch) se seraient montrés récalcitrants à l’idée de « mettre la main au portefeuille ». Par chance pour le réalisateur, un nouveau producteur a fait son entrée dans l’arène. Son nom ? Pascal Caucheteux, le patron de Why Not Productions, qui compte entre autres dans ses rangs Christophe Honoré, Jacques Audiard et Maïwen.
Quelques billets supplémentaires, et voilà Abdellatif Kechiche reparti de plus belle. « J’y passe mon temps, depuis toutes ces années. Je n’ai fait pratiquement que ça : monter, remonter, essayer. J’espère bientôt la fin », a-t-il déclaré en 2022 au Festival Cinémed de Montpellier, où sa venue a déclenché une manifestation contre son « sexisme », ses méthodes de travail proches du harcèlement moral, motivée par une plainte pour agression sexuelle, classée sans suite.
Le Festival de Cannes décline
En 2024, il a toujours le nez dedans, mais le bouclage approche. Une première version est proposée au comité de sélection du Festival de Cannes sans l’accord du réalisateur. Elle est recalée. En 2025, rebelote. Sur les conseils d’un autre producteur, un certain Riccardo Marchegiani, on retente l’expérience auprès de la Quinzaine des cinéastes, sélection parallèle. Le film doit repasser au montage, selon eux. Le flou autour de la version finale les inquiète. Ils déclinent.
C’est finalement Locarno qui le récupère, sur les conseils de son directeur artistique. À quoi ressemble le film ? Mystère. Eux disent avoir « travaillé très longuement dessus », et accorder toute leur confiance au producteur.
Qu’en est-il d’Abdellatif Kechiche ? Sera-t-il présent ? Le cinéaste a été victime d’un AVC, au mois de mars dernier. Ses capacités orales et écrites sont diminuées. Si l’on raconte qu’il souhaiterait se concentrer sur des activités de producteur, ses aptitudes à diriger sont très remises en question. De quoi ajouter une attente supplémentaire. Mektoub my Love : Canto Due pourrait-il être le dernier film de sa carrière ?
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